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Interview

Frédérique Vidal : « La nouvelle génération doit devenir ambassadrice de la transition écologique, en sachant exactement de quoi elle parle »

Frédérique Vidal est en fonction depuis le 17 mai 2017.
Frédérique Vidal est en fonction depuis le 17 mai 2017. (Ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation)

Par Florent Vairet

Publié le 25 oct. 2021 à 06:00Mis à jour le 13 févr. 2023 à 16:19

Exclusif - La ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation présente aux « Echos START » le plan Climat de son ministère. Frédérique Vidal annonce que la formation aux enjeux de la transition écologique de tous les étudiants sera bientôt au programme de toutes les formations universitaires, sans pour autant préciser le calendrier.

Le groupe de réflexion mené par Jean Jouzel vous remettra avant la fin de l'année une liste de préconisations pour engager massivement les universités dans la transition écologique. Une note intermédiaire vous a déjà été envoyée. Quelles sont les grandes directions ?

Il faut savoir que, dans l'enseignement supérieur, il n'existe pas de programmes nationaux. Il y a le principe de la liberté académique. Donc ça ne sert à rien que je dise « je veux que tous les établissements aient vingt heures de formation en première année » car, pour ceux qui ne le souhaitent pas, je n'aurai pas les moyens de les y obliger. Tout passe par la concertation, et c'est le rôle que joue Jean Jouzel auprès de chacun de ces groupes en essayant de mettre d'accord les responsables pédagogiques, les établissements, les associations et les étudiants sur les ambitions et les objectifs. Plusieurs volets se dessinent. Les formations d'abord : il faut pouvoir sensibiliser tous les étudiants à la transition écologique et aux dix-sept objectifs de développement durable des Nations unies, avec un socle de formation, et ensuite décliner des modules de formation plus adaptés en fonction des cursus.

Le deuxième bloc est l'identification des leviers d'action pour tendre vers des campus vertueux. Beaucoup de choses sont déjà faites, mais il y a un besoin de coordonner les bonnes pratiques, de les faire connaître et de les déployer. Le groupe de réflexion réalise un benchmark de ce qui se fait dans les établissements en France et à l'étranger.

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Un plan climat va être présenté par votre ministère, vous avez encore peu communiqué à ce sujet, quelles sont les grandes priorités ?

L'une d'entre elles est de continuer à accompagner la recherche, qui est essentielle pour avancer sur la transition écologique. Parmi les vingt stratégies d'accélération nationale présentées par le président de la République, dix portent sur la transition écologique et le développement durable. Sur les quatre programmes prioritaires de recherche exploratoire, trois y sont consacrés, avec le cycle de l'eau, du carbone et des matériaux innovants non polluants. En tout, l'investissement supplémentaire consacré à la recherche dédiée à ces sujets est de 750 millions d'euros.

Il y a bien sûr le volet formation. C'est l'objet des préconisations du rapport de Jean Jouzel. Mon objectif est que toute la nouvelle génération soit ambassadrice de ce sujet, en sachant exactement de quoi elle parle.

Enfin, le volet sur la sobriété énergétique, avec la rénovation des bâtiments, la suppression des chaudières au fioul dans tous les établissements. D'où le fait que le plan de relance finance la réhabilitation énergétique des bâtiments d'enseignement supérieur à hauteur de 1,3 milliard. On regarde aussi de près les émissions de CO2 dues aux activités de recherche. Sur tous ces sujets, des indicateurs vont être détaillés avec une déclinaison opérationnelle.

J'ajoute que dans le plan France 2030, environ 15 milliards d'euros sont dédiés à la décarbonation. Dans le plan de relance, c'était déjà 30 milliards d'euros mobilisés sur ce sujet.

Comment réussir à embarquer les universités dans ces priorités ?

De la même façon que celles-ci ont des schémas directeurs sur le handicap, les violences sexistes, mon ministère pourra demander aux établissements de nous faire parvenir leur schéma directeur sur la transition écologique, à la fois sur le volet formation mais aussi dans la façon dont ils recyclent le papier, ils économisent l'énergie, etc. Ces schémas directeurs, les universités sont prêtes à les produire. Un référentiel, rassemblant les règles et les indicateurs de base, a été produit par la Conférence des grandes écoles et la Conférence des présidents d'université. La volonté est là.

Comment expliquez-vous que très peu d'universités ont répondu à notre classement réalisé en partenariat avec ChangeNOW ?

La première explication est sans doute liée à la taille des établissements. Une grande école, c'est souvent une unité de lieu, de formation et de gouvernance. N'oublions pas qu'une université, c'est plusieurs facultés, plusieurs campus, parfois des dizaines de sites éparpillés sur un territoire. Récupérer les informations auprès des différentes composantes prend plus de temps que pour une école.

Les labels sur la transition écologique sont un des moyens utilisés par les étudiants pour repérer les établissements les plus vertueux. Allez-vous encourager cette labellisation ?

Les étudiants, français comme étrangers, sont en recherche d'établissements qui prennent en compte les objectifs de développement durable. Et je constate que le label DD&RS, qui mesure ces critères, est demandé par les établissements eux-mêmes car il participe à leur attractivité. Au total, cinquante-deux grandes écoles et dix universités ont obtenu ce label.

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Dix universités sur soixante-quatorze, n'est-ce pas trop peu ?

Le travail est en cours. Il faut qu'elles soient capables de prouver qu'elles déploient les bonnes pratiques sur l'ensemble de leurs facultés et sites.

Concernant la formation, à partir de quand les étudiants seront-ils tous formés aux enjeux écologiques ?

Le plus rapidement possible. Et je souhaite qu'elle se mette en place dès le premier cycle.

Comment expliquez-vous le décalage entre les premières mobilisations étudiantes d'il y a trois ans et le délai de mise en oeuvre de ces formations obligatoires ?

Pendant ce délai, les universités n'ont pas rien fait. Déjà dix établissements ont introduit des formations attestées par le label DD&RS, ce n'est pas rien. Les autres y travaillent. En tout cas, je peux vous dire que la volonté est forte et les aides sont présentes.

J'ai moi-même beaucoup motivé mes enfants sur la question de la préservation de la biodiversité

Quand vous regardez dans le rétroviseur, comment expliquez-vous que les établissements d'enseignement supérieur aient pris autant de temps à enseigner la gravité de la situation, alors qu'elle était connue depuis plusieurs dizaines d'années ?

Pendant très longtemps, les chercheurs ont considéré que le fait que l'information soit disponible était suffisant pour qu'elle arrive jusqu'aux étudiants et à la société. C'était une erreur. Le rapport du Giec est disponible, et pourtant peu de gens le lisent. Aujourd'hui, on a compris que l'information devait non seulement être mise à disposition mais aussi expliquée, commentée. Tout l'enjeu est de savoir comment accompagner les jeunes pour qu'ils s'emparent de ces connaissances pour éveiller leur conscience écologique. La science doit se faire pour et par la société. Je suis convaincue qu'on peut intéresser la société à la science dans toute sa complexité. On sait énormément de choses aujourd'hui sur le climat, et il faut que les scientifiques aillent beaucoup plus vers la société tout en s'appuyant sur cette dernière.

A n'en citer qu'une, y a-t-il une université à vos yeux particulièrement engagée sur les enjeux écologiques ?

L'université de Montpellier est probablement la plus en avance. Elle en fait sa marque de fabrique et mène une recherche en pointe sur ces sujets.

Vous avez vous-même été présidente de l'université de Nice-Sophia-Antipolis de 2012 à 2017, quelles actions avez-vous prises en faveur de l'écologie ?

Nous avions mis en place des systèmes de tri sélectif, de recyclage du papier. Quand je m'occupais du département des sciences de la vie avant d'être présidente, chaque année, je soutenais les étudiants qui menaient des actions comme le recensement des espèces du parc Valrose à Nice, la mise place d'un jardin partagé ou d'une économie circulaire.

Une question plus personnelle. Quand on interviewe des décideurs, on se rend compte que leurs enfants ont souvent contribué à les faire évoluer sur les sujets sociétaux. Dans votre cas, vos enfants ont-ils joué un rôle ?

On apprend toujours beaucoup de ses enfants, mais en l'occurrence, sur ces sujets-là, de par ma formation scientifique, je les ai moi-même beaucoup motivés sur la question, en particulier la préservation de la biodiversité. Là où eux aussi m'ont appris des choses, c'est dans leur envie de faire. Mes enfants appartiennent à une génération qui souhaite sortir de la théorie, participer concrètement à la transformation, que ce soit par des campagnes de recyclage ou de nettoyage des plages. Ils m'ont appris l'importance du terrain, des actions concrètes pour la transition écologique.

Une autre interview…

Vous pouvez relire la précédente interview de Frédérique Vidal donnée aux « Echos START », concernant la situation des doctorants.

À noter

Ici, retrouvez l'ensemble du DOSSIER consacré au classement 2021 des grandes écoles les plus engagées dans la transition écologique

Florent Vairet

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